Sur les photos
Sur les photos de classe du lycée, dans les années soixante, je suis le seul élève à ne pas porter de costume et de cravate. Les lycéens de ce temps-là étaient vêtus comme des princes, avec, quelquefois, des blasons sur les poches de leurs vestons. Ils étaient issus d’une classe sociale élevée, ils allaient y être admis: leur place était réservée. La progéniture de la caste retournerait à la caste.
Moi, je portais les vêtements d’un cousin de Paris et les montures de lunettes d’un de mes oncles. Je faisais mes devoirs dans l’arrière-boutique de mes parents, sur une table de bois blanc, que ma mère avait creusée, à force de la frotter avec de l’eau de Javel : la table, d’une blancheur étonnante, ondulait sous mes cahiers d’écolier.
Un jour, mon cousin de Paris se jeta du haut d’un escalier. Nous reçûmes un paquet. Ce fut la première fois que je tins tête à mes parents: je refusai de porter les vêtements d’un mort.
Michel Conrad
Source: Sites.google.com
Prose Relative:
Le visage
Poésies Relatives:
L’eau
Faire sourire
Je n’ai pas
Le marbre