Hãfiz (2)
Pratiqué avant Hãfiz, le genre ghazal a connu avec lui son apogée. La première difficulté en est la métrique imposée au persan, langue européenne accentuée, qu’elle contraint au carcan de la prosodie arabe fondée sur la longueur des syllabes. Hãfiz a ses mètres favoris, dont le dowri, réalisé le plus souvent en deux fois sept syllabes, rendu ici, en français, par des octosyllabes. Le rythme, lié à la musique, est donc essentiel: il ne faut jamais oublier que les vers de Hãfiz, comme ceux de ses devanciers ou de ses émules, sont faits pour être chantés, et le sont toujours, en effet.
Une autre difficulté tient à la rime unique. La graphie arabe du persan, qui n’est pas une langue sémitique, ne facilite pas également les choses. Maintenue pour des raisons surtout religieuses et traditionnelles, elle est un défi à la transcription phonétique rationnelle.
Cet ouvrage-ci étant destiné au grand public et non aux spécialistes, une transcription simple a été adoptée: a/ã. e/i, o/u pour les voyelles (ei et ow pour les diphtongues) et, pour les consonnes: j, sh à l’anglaise, gh (r français « grasseyé» et non roulé), kh («raclé» dans la gorge, comme le ch allemand «dur» ou la jota espagnole), q (constriction de la gorge, comme dans le nom de la
ville de
Qom) et ’ (occlusive glottale. ou «coup de glott » souvent escamoté dans la prononciation usuelle, mais qui représente à la fois le ’ayn et le hamza arabes).
Hãfiz est «en odeur de sainteté» chez ses compatriotes. Tout le monde le cite et nombreux sont ceux qui connaissent son Divan par cœur.
Chaque année apporte son contingent d’ouvrages et d’articles qui lui sont consacrés. On ne peut, en lisant- ou mieux, en écoutant- les ghazal de Hãfiz, manquer de relever la présence constante, explicite ou non, de la Parole révélée dans le Coran.
Le
poète est
musulman et son surnom. Hãfiz, indique littéralement qu’il savait le Livre saint par cœur. Rien ne permet de croire qu’à l’image de son milieu et de ses princes, il ne fut pas sunnite.
Son vocabulaire et son style, sa «manièr » (shivé) sont sans doute influencés par la forme et la construction des sourates du Coran. Il n’en allait pas autrement pour ses grands prédécesseurs Attãr et Saadi. Bien des noms propres évoqués dans les ghazal sont tirés du Livre saint et sont familiers aux lecteurs musulmans. Le chrétien, par ailleurs, ne sera pas dépaysé. Qui ignore l’histoire de Noé et du Déluge, celle de Moïse et du Buisson ardent, l’aventure du chaste et beau Joseph en Egypte, la destruction du Crésus arabe, le Coré de la Bible, le Qãrun du Coran, et surtout le souffle de Jésus-Christ (’Isa, Massih) qui ressuscite les morts? Notre père Adam n’est pas oublié, encore moins Salomon (Soleimãn) et son anneau.
A ces figures islamo-chrétiennes, Hãfiz associe d’autres noms, comme celui d’Acef, ministre et sage conseiller du roi Salomon, auquel notre
poète compare ceux des vizirs de son temps qu’il veut louanger.
Il cite bien souvent les héros romanesques de Nezãmi: les amants célèbres Majnun, et Leilã et le pauvre Farhãd. Mais sa prédilection va aux souverains mythiques de la Perse antique: Kei-Khosrow et surtout Jamshid, tous deux détenteurs de la Coupe (jãm) «miroir de Vunivers» (giti-nemã). Les autres noms propres qui apparaissent dans les ghazal sont ceux des personnalités dédicataires dont le poète fait l’éloge. C’est le cas de Shãh-e Shojã, du détestable sultan Mobãrez-Oddin et de plusieurs vizirs.
Source: MONTEIL. Vincent Mansour, Le Divan de Hãfiz, éd. Kitãbsarãy-e Nik, Téhéran, PP.8-10
Poésie Relative:
Mystère